L’histoire de Jonas 8 ans : « Personne ne m’aime, je suis trop infernal »
L’histoire de Jonas, 8 ans
Voici une première histoire, celle de Jonas que j’ai rencontré il y a quelques années dans une école où j’enseignais l’anglais par le jeu… Toutes ces histoires que j’ai tellement envie de vous transmettre illustrent à chaque fois l’impact négatif et parfois dévastateur de paroles toxiques sur les enfants. Ces histoires vraiment vécues (seul le prénom des enfants sera changé) nous montrent aussi et surtout l’impact positif et réparateur de « paroles en or ». Ces paroles que nous pouvons tous prononcer.
Les présentations sont faites
Je repense à ce petit garçon de 8 ans dans cette classe où j’arrive pour la première fois leur apprendre l’anglais. A peine la porte franchie et un « hello everybody » lancé joyeusement à tous, ce garçon vient vers moi en force, buste en avant, en me disant agressivement : « Vous savez Madame, moi je suis infernal en classe alors je vous préviens, ce ne sera pas une partie de plaisir avec moi »…
On m’avait prévenue
En salle des professeurs, juste avant, on m’avait prévenue en m’expliquant le « cas » de cet enfant « infernal et donc ingérable » en classe et on m’avait d’ailleurs souhaité bonne chance !
Jonas, 8 ans à peine, vit déjà une appropriation complète de l’étiquette « infernal » récoltée au fil de son parcours… Ce qu’on lui a répété depuis son plus jeune âge est bien ancré visiblement. Tous ces adjectifs « péjoratifs » qui viennent définir un être et auxquels il se met à croire sont des étiquettes qui finissent par lui coller à la peau et faire partie de son personnage : « tu es lent, tu es infernal, tu es paresseux, tu es agité, tu es trop ci, tu es trop là, … ».
Jonas, lui, en a déjà reçu des tonnes et en particulier un « tu es infernal » bien prononcé. Quoi de plus normal et naturel de se présenter à moi selon cette identité « je suis infernal en classe ». Ce que je veux dire, c’est qu’ayant reçu cette définition de lui-même, il n’a plus d’autre choix que de s’y conformer et que d’agir exactement de manière « infernale ».
« Qu’est-ce que ça peut vous faire ? »
Mais reprenons donc notre histoire. Jonas me prévient donc « Vous savez Madame, moi je suis infernal en classe alors je vous préviens, ce ne sera pas une partie de plaisir avec moi ».
Je le regarde en lui envoyant toute la bienveillance du monde et lui réponds : « Comment t’appelles-tu ? ». Interpellé par ma réaction qu’il n’attend visiblement pas, il me dit : « Qu’est-ce que ça peut vous faire comment je m’appelle, de toute façon, personne ne m’aime, je suis trop infernal ! »…
Voilà, on y est, en quelques interactions, on a déjà le « noeud du problème »… Jonas souffre atrocement de ce manque d’amour.
« je devine à travers tes mots combien tu as pu être blessé »
Je le regarde et je lui dis avec beaucoup de douceur : « Mon Grand, je devine à travers tes mots combien tu as pu être blessé par moment et je comprends que ça n’a pas dû être facile. Ça n’a pas été facile pour toi de recevoir tout l’amour que tu mérites. Mais tu sais aussi ce que je vois ? Je vois quelqu’un de magnifique qui peut faire des choses magnifiques et surtout être la magnifique personne qu’il veut être. Je vois un Jonas qui peut être aimé tel qu’il est vraiment. »
Jonas me regarde comme si je venais de lui dire quelque chose d’absolument incroyable.
« Alors voici ce que je te propose »
« Alors, voici ce que je te propose. Nous allons profiter de cette animation en anglais pour voir comment tu te sens sans ton étiquette « d’infernal ». Ce sont des mots que tu as reçus en son temps mais ils ne te vont plus, je trouve. Tu es d’accord ? « Infernal », ce n’est quand-même pas très agréable comme étiquette… »
Jonas réfléchit. Alors qu’il n’en me connait pas, car c’est mon 1er cours avec lui, cette proposition semble le tenter.
« Que dirais-tu d’expérimenter pour une fois ce qui se passe quand tu enlèves cette étiquette et que tu l’effaces pour y écrire à la place ton joli prénom « JONAS ». Ce serait mieux n’est-ce pas ?
Le visage de Jonas commence à s’éclairer.
On va vivre un moment chouette pour te permettre de connaître le vrai TOI qui es en toi, le vrai JONAS qui ne demande qu’à se montrer… car tu es d’accord avec moi, le Vrai Jonas, il en a un peu marre de cette étiquette d’infernal. Et tu es d’accord, cette étiquette t’amène d’ailleurs beaucoup trop de problèmes ? »
Jonas opine.
Et sens-toi déjà fier et heureux de ce qui va se passer mon Grand. A partir de maintenant, tu peux être le Vrai Jonas que tu attends d’être car ton étiquette d’infernal est partie. Elle ne t’allait tellement plus du tout. Les lettres de ton prénom sont tellement plus jolies. Trop hâte d’assister à ton nouveau toi en classe. Allez, fais-moi confiance, c’est parti, let’s go ! ». Et j’ai lancé la leçon directement…
Et ce garçon s’est autorisé à baisser son armure
MA-GI-QUE ! Jonas est retourné à sa place en marchant d’ailleurs complètement différemment. Il s’est assis, le regard encore un peu ailleurs. Et ce garçon s’est autorisé à baisser son armure. Il s’est permis de vivre une animation en anglais que je n’oublierai jamais. J’avais devant moi un enfant différent : participatif, agréable, motivé. Le « tu es infernal » laissait sa place à « tu es apprécié tel que tu es vraiment »… et ça changeait tout. Avec un « tu es apprécié tel que tu es vraiment », il pouvait forcément déployer les comportements qui vont avec cette nouvelle image de lui. Et dans une classe, ça se traduisait pour Jonas par du calme, de la sérénité, du soulagement de ne pas « devoir » jouer le rôle de l’infernal.
Comment s’est déroulée la leçon ?
Jonas a vraiment participé de manière agréable et a mis pour une fois son énergie au bon endroit pendant un cours. J’ai vu un enfant apaisé et serein le temps de ne plus porter le poids des mots de son étiquette habituelle.
Il prenait sa juste place, respectait les règles du jeu en cours et se montrait attentif aux autres. Conséquence des plus agréables aussi : une petite fille s’est penchée vers lui en lui disant : « Moi, j’aime bien quand tu es comme ça en classe, Jonas« . Ces paroles en or prononcées spontanément par sa camarade de classe ont appliqué instantanément du baume au coeur sur son besoin d’être aimé. Quelle joie !
Quant à moi, je n’ai rien dit de plus. Seul mon regard est venu le chercher de temps à autres pour le soutenir dans sa nouvelle image de lui. En langage corporel, je l’ai donc soutenu simplement du regard pour l’encourager, le valoriser et fêter avec lui sa découverte de lui-même. Quel bonheur d’assister à des transformations pareilles.
Et l’apprentissage dans tout ça ?
Jonas m’a appris une grande leçon ce jour-là. Cela m’est apparu comme une évidence. En tant qu’adulte enseignant, nous ne pouvons ignorer comment un enfant se sent si nous voulons l’aider à bien apprendre. En effet, comment voulez-vous apprendre quelque chose à un enfant s’il est mal dans sa peau ? Peut-être vient-il de se prendre des paroles toxiques ou rumine-t-il sans arrêt des étiquettes toxiques ? Peut-être a-t-il fini par croire à toutes ces paroles difficiles et souffre-t-il de l’image renvoyée de surcroît par les autres ? Quel sens a une leçon lorsqu’il se sent mal ? Comment voulez-vous alors imaginer un apprentissage facile peu importe la matière ? Si son élan naturel pour l’apprentissage est gâché par toutes ces paroles nocives qui viennent tout compliquer, comment voulons-nous qu’un enfant puisse apprendre facilement, efficacement et de manière agréable ?
Réécrire l’histoire
Si j’avais commencé ma leçon ce jour-là en le renvoyant s’asseoir et en le traitant d’effronté, d’impoli ou pire « d’infernal », qu’aurais-je gagné ? A part une éphémère « victoire » d’autorité de l’égo ? J’aurais sans nul doute vécu une leçon sabotée par un enfant souffrant. Qui dit leçons sabotées dit frustration grandissante pour l’enseignant, démotivation, perte de sens, dépression… Et lui, qu’aurait-il gagné ? Rien… il aurait juste raté une occasion de se faire aider et de continuer son chemin plus sereinement.
Impossible de bien enseigner sans prendre en compte les émotions de votre classe
C’est ce en quoi je crois profondément. Nous devons prendre en compte la charge émotionnelle portée par l’enfant. C’est primordial. Quand c’est lourd et désagréable, ce n’est pas facile mais le contraire est très vrai aussi : le positif va entraîner du positif ! Renvoyez une belle image de lui à l’enfant en face de vous, et hop, son humeur change du tout au tout, son état d’esprit et donc son comportement… tout peut redevenir positif !
Vous ne pourrez donc pas apprendre ou enseigner à quelqu’un de manière optimale sans avoir pris en compte les émotions du moment. Il faudra non seulement mettre l’attention sur le fond mais aussi sur la forme…
Trop compliqué à prendre en charge ?
Vous trouvez compliqué de prendre cela en charge ? Ne trouvez-vous pas que de prononcer une petite phrase apaisante et encourageante avant de débuter un cours par exemple vaut le coup ? Voyez-vous que ce sera non seulement un cadeau pour l’apprenant mais aussi pour celui qui enseigne ? Personnellement, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Le gain est évident pour tous. Et pas la peine d’être coach mental pour les prononcer. C’est à la portée de tous ! Mais il est vrai que parfois cela semble compliqué. Et il n’y a aucune honte ni jugement à cela. Mais je vous l’assure, c’est juste une question de volonté et d’entraînement. C’est bien pour cela qu’on peut s’y former facilement. L’évidence peut apparaître alors : en prononçant des paroles en or pour booster et aider les enfants, l’adulte (enseignant ou non) en profite aussi tant il bénéficie de l’impact positif certain. En aidant l’enfant, on aide l’enfant et l’adulte. Quel cadeau.